Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Influences

Paul-Émile Borduas, Joute dans l’Arc-en-Ciel apache. Applications à la spatule de couleur blanche, ocre, rouge et noire.

Paul-Émile Borduas, Joute dans l’Arc-en-Ciel apache,
1949, huile sur toile. Collection du Collection
Musée des beaux-arts de Montréal. Photo Luc Bouvrette.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
Les influences qui ont marqué le travail de Borduas sont grandes. On peut penser d’abord à son éducation, puis à son premier voyage en France et à la diffusion des enjeux de la peinture moderne européenne et américaine. Pourtant, trois ascendants vont le marquer plus précisément. Il y a indiscutablement celui d’Ozias Leduc, celui d’André Breton et du surréalisme, et celui des jeunes qui formeront le groupe des Automatistes.

Tout d’abord, un profond respect pour Ozias Leduc, que l’on surnomme « le sage », construit le regard que porte Borduas sur la peinture et aussi la vie en générale. C’est lui qui donne les premières leçons à Borduas, qui l’initie à la peinture religieuse et à l’histoire de l’art. Les œuvres de ce grand maître sont les premières que côtoie Borduas, encore enfant, à l’église de Saint-Hilaire lorsqu’il assiste aux services religieux avec sa famille. Il sera son mentor et son soutien, tant intellectuel que financier durant de longues périodes. En l’engageant comme apprenti, en l’incitant à prendre des cours à l’École des beaux-arts de Montréal et en lui donnant la possibilité de se rendre en France pour étudier l’art religieux, Leduc permet à Borduas de s’épanouir et de suivre sa voie. Borduas lui en sera reconnaissant même durant les périodes les plus difficiles. Leduc restera le pilier sur lequel Borduas pourra s’appuyer et à qui il pourra se confier.


Joute dans l’Arc-en-Ciel apache,
François-Marc Gagnon
Séquence vidéo
Durée : 1 minute 34 secondes
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Dans son texte Projections libérantes, Borduas relate que le 10 octobre 1928, il écrit au directeur de l’école où il enseigne pour donner sa démission comme professeur.

« La lettre écrite, j'allai retrouver mon cher monsieur Leduc. Sa haute intelligence, son entière approbation du geste irrémédiablement téméraire, fut plus précieuse que tout ce que je venais de perdre volontairement. »

Portrait d'un jeune Borduas en complet.

Paul-Émile Borduas, vers 1932
Fonds d’archives Paul-Émile Borduas
du Musée d’art contemporain de Montréal.
Photo : MACM

L’ascendant d’André Breton et du surréalisme est très différent, car il demeure extérieur à la réalité et à la vie de Borduas. Borduas ne rencontrera jamais personnellement Breton, ce n’est que par l’entremise de ses écrits qu’il découvre les positions du surréalisme. Pourtant, Borduas retrouve chez les Surréalistes des affiliations théoriques et des intentions correspondant à sa vision de l’art.

Finalement, l’influence des jeunes artistes est moins tangible quoique centrale dans l’expression et l’aboutissement de la vision de Borduas. Les discussions, le dynamisme et l’effervescence du groupe sont importants pour assurer le développement et la cohérence de sa réflexion. Les idées, les contacts et les actions de chacun ont permis de théoriser et de définir le mouvement automatiste. Souvent négligée, l’influence de ces jeunes rappelle celle qu’Ozias Leduc a pu avoir sur la vie et la production artistique de Borduas. Il écrit, justement, concernant un tableau de Mousseau La Chasse-galerie (c. 1946):

« Si j'aime la « Chasse-galerie » ce ne peut être pour un rappel de bourrasque. Pour moi une bourrasque n'est belle et ne m'intéresse que dans le ciel. Celle de Mousseau ne peut m'en donner qu'une idée ridiculement diminuée, ne serait-ce que par son immobilité.
Non, si j'aime ce tableau c'est à cause de ce qu'il est lui aussi unique, inimitable, une réalité propre séduisante. Si je ne l'avais jamais vu, je ne serais pas tout à fait ce que je suis.
»

L’affection et la reconnaissance de Borduas pour ces jeunes artistes sont réelles et tangibles. Il assume et respecte les idées et la vision de cette jeunesse. Tout au long de sa vie, même après son départ pour New York ou Paris, cette influence le suivra. Sa correspondance avec Claude Gauvreau, entre autres, comporte une grande part d’échanges intellectuels et théoriques.

Image d'entête : Borduas dans sa maison à Saint-Hilaire, avec Gabrielle et Renée (1950). Collection Gilles Lapointe.


TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Saisie d'écran de l'entrevue de François-Marc Gagnon

Joute dans l’arc-en-ciel apache
François-Marc Gagnon

La première chose qu’il faut comprendre chez Borduas, c’est comment il arrive à l’automatisme. Cette œuvre, Joute dans l’arc-en-ciel apache, est d’environ 1947, donc un peu plus tardive. Déjà en 1942, Borduas lit dans André Breton un passage sur Léonard de Vinci qui l’intrigue. Breton cite ce conseil que donnait Léonard à ses élèves :
« allez voir un vieux mur, regardez-le longtemps et vous verrez des formes apparaître; vous n’avez qu’à copier ces formes et vous renouvellerez votre inspiration». Voilà la clé de plusieurs tableaux automatistes. Non pas que Borduas soit allé voir un vieux mur, mais il a considéré sa feuille de papier, ou sa toile sur laquelle il travaillait, comme un mur sur lequel il a fait un trait, n’importe quoi, puis un deuxième, un troisième, puis ça s’est construit et ça a donné … un arc-en-ciel comme dans ce tableau. Tous ses tableaux automatistes ont des titres précis, ce n’est pas juste «peinture» ou « Sans titre » parce que peu à peu, une image se révélait et la lecture que Borduas en a faite, c’est le titre qu’il a donné à son tableau.

Concernant l’influence d’Ozias Leduc et d’André Breton, Borduas écrit dans Quelques pensées sur l’œuvre d’amour et de rêve de M. Ozias Leduc :

«  Je lui dois [Leduc] ce goût de la belle peinture avant même de l'avoir rencontré.
Je lui dois l'une des rares permissions de poursuivre mon destin. Lorsqu'il devint évident que je miserais sur des valeurs contraires à ses espoirs, aucune opposition, aucune résistance ne se fit sentir ; sa précieuse et constante sympathie n'en fut pas altérée. Cela suffirait à isoler M. Leduc dans mon admirative reconnaissance, à le situer dans un monde plus parfait que celui de tous les jours.
Je lui dois, on n'en finit jamais de l'acquérir tout à fait, le goût du travail soigné si à Breton revient celui du risque qui ne me quittera plus. Pourtant le risque est grand chez Leduc, mais il est caché dans l'apparente pondération qui le rend difficile à voir et peut-être, sans Breton, ne l'aurais-je découvert qu'à demi.
Je lui dois enfin de m'avoir permis de passer de l'atmosphère spirituelle et picturale de la Renaissance au pouvoir du rêve qui débouche sur l'avenir ».


Borduas termine son texte En regard du surréalisme actuel comme ceci : « Breton seul demeure incorruptible ».

Borduas écrit dans Le surréalisme et nous :

« Le surréalisme fut pour nous l'occasion de notre évolution sensible. Il permit les contacts brûlants des généreux scandales que sans lui nous n'aurions probablement pas connus, embourbés que nous étions dans des préjugés sans nombre.
Le surréalisme replaça l'œuvre d'art à sa place dans l'activité de l'homme. Il permit de mieux connaître le mécanisme de la création poétique. Il nous révéla la continuité des prophéties.
Le surréalisme fut pour nous un magnifique exemple de courage, d'ardeur. Le surréalisme, par tout son comportement, nous révéla une large tranche de nous-mêmes.
Nous sommes les fils imprévisibles, presque inconnus d'ailleurs du surréalisme. Des fils illégitimes peut-être, dont la filiation se fit à distance, non volontairement de notre part, mais par la force des choses ».

Les relations que Borduas entretient avec le surréalisme demeurent ambiguës. D’un côté, il lui accorde de l’importance lors du développement du manifeste Refus global. D’un autre côté, il reproche aux membres du mouvement surréaliste européen de s’être écartés du précepte qu’il considère fondamental, celui de l’acte non préconçu.