Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Cinq temps à la loupe

L’annonce aux bergers et Anges apprenant la bonne nouvelle aux bergers représentant des anges flottant au dessus de bergers.



Anges apprenant la bonne nouvelle aux bergers, 1929
Huile sur carton laminé
L’annonce aux bergers, 1929

Aquarelle et mine de plomb sur papier blanc

Diplômé de l’École des beaux-arts de Montréal, c’est après une brève expérience comme enseignant que Borduas se rend en France pour parfaire sa formation de peintre de scène religieuse en 1929 et 1930. Ces deux œuvres témoignent de cette période, celle de son premier séjour en France et de sa production de jeunesse. Elles sont toutes deux le résultat d’exercices obligatoires des Ateliers d’art sacré de Paris.

Le sujet représenté est le même  dans les deux œuvres: celui de l’Ange du Seigneur annonçant la bonne nouvelle aux bergers. On peut penser que ces deux esquisses sont les résultats d’une recherche et d’une réflexion sur le sujet pour un seul et même tableau que Borduas projette de réaliser. La même composition organise les deux pochades : un premier groupe d’anges dans la partie supérieure et un deuxième groupe, constitué de bergers, dans la partie inférieure du dessin. Pourtant, la pochade Anges apprenant la bonne nouvelle aux bergers comporte de multiples détails qui la rapprochent beaucoup plus du texte tiré de l’Évangile. Le ciel étoilé de cette œuvre contraste avec celui plus sombre de L’Annonce aux bergers où l’ange du Seigneur est beaucoup plus facilement reconnaissable. Les jeux de texture, de couleur et les détails de ces deux compositions reflètent cette quête d’une représentation et d’une organisation plus contemporaine et plus juste pour un sujet qui demeure traditionnel.

EN HAUT : Paul-Émile Borduas, L’annonce aux bergers, 1929, aquarelle et mine de plomb sur papier blanc. Collection Renée Borduas. Photo MBAM, Brian Merrett. © Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
EN BAS : Paul-Émile Borduas, Anges apprenant la bonne nouvelle aux bergers, 1929, huile sur carton laminé. Collection Renée Borduas. Photo MBAM, Brian Merrett. © Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Paul-Émile Borduas, Autoportrait. Plan rapproché du visage de Borduas, assis sur une chaise de bois.

Paul-Émile Borduas, Autoportrait, c.1928, huile sur toile.
Collection du Musée des beaux-arts du Canada,
don de Mme Paul-Émile Borduas. Photo MBAC.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Autoportrait, c.1928
Huile sur toile

La date exacte de ce tableau est inconnue. Borduas le situera en 1928, tandis que d'autres proposent plutôt le début des années trente. Toutefois, Borduas a peint durant cette période de multiples portraits et autoportraits; plus d’une vingtaine jalonnent le cours des années 1930. L’Autoportrait de 1928 demeure assez traditionnel dans sa forme et sa composition. On peut aisément reconnaître la tradition romantique du Nord. Les portraits plus tardifs montreront clairement le chemin accompli par Borduas dans sa peinture et intègreront certaines caractéristiques plus près de la peinture moderne, comme celle des cubistes.

Une chose est certaine, cet intérêt pour l’être humain transcende toute la production de l’artiste. Même si le portrait est une image externe de l’être humain, il comporte en lui les diverses caractéristiques que Borduas tente d’intégrer dans sa peinture : ceux de l’intériorité, de la personnalité et de la singularité. L’œuvre de Borduas reste toujours une quête de l’essence de l’être humain et de la connaissance de soi, éléments importants et présents dans tout portrait. « L'expression du « monde intérieur » n'a pas de sens si elle n'est pas, comme toujours, la plus exacte relation possible avec le visible. Dans ce visible infini nous choisissons les aspects les plus dignes d'intérêt, les plus frais ou les plus troublants. L'aventure de la conscience se poursuit sans déviation. L'on est ou l'on n'est pas de l'aventure. »

Paul-Émile Borduas, « 2.45 » ou L’île enchantée, illustrant une femme nue stylisée à l'intérieur d'une grotte noire.

Paul-Émile Borduas, « 2.45 » ou L’île enchantée, 1945, huile sur toile.
Collection Musée des beaux-arts de Montréal, don de la
Succession J.A. DeSève. Photo MBAM, Marilyn Aitken.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

« 2.45 » ou L’île enchantée, 1945
Huile sur toile

Il semble que cette œuvre soit apparue au fil du temps sous plus d'une appellation : L'île du diable, dans une demande de bourse que Borduas adresse au Gugghenheim en 1948, ou encore 2.44 ou L'île approchée dans le livre des comptes de l'artiste.

Par contre, le titre de L'île enchantée fût réellement attribué à l'œuvre en 1962 lors de la rétrospective qu'organisa le Musée des beaux-arts de Montréal. Même si cette œuvre semble avoir été intitulée ainsi après la mort de l'artiste en 1960, ce titre est pourtant contemporain du texte Ce destin fatalement s'accomplira  – état préparatoire pour l'article Manières de goûter une œuvre d'art publié en janvier 1943 dans Amérique française – dans lequel il est possible de lire: « Une fois ce terme atteint, nous n'avons eu qu'un désir, nous endormir heureux dans cette île enchanteresse du repos éternel. Aucune embûche ne nous fit peur. La mort elle-même fut acceptée joyeusement. Quand des voix s'élevèrent, assez braves, assez vivantes, assez fortes pour crier gare par leur œuvre, ce fut le scandale. »

La correspondance entre les propos de Borduas et l'œuvre est intéressante, car elle confirme l'explosion et la libération de l'art moderne et contemporain. Cette œuvre précède tout juste, ou annonce, sa période de paysage abstrait qui composera une grande partie de sa production entre 1946-1950. L'île enchantée ou enchanteresse correspond bien à cette image d'un lieu presque parfait, à cette étape du développement de la peinture chez Borduas où l'artiste tente d'atteindre ou de laisser parler spontanément le paysage intérieur qui l'habite. De plus, il est intéressant de souligner qu'une œuvre d'Ozias Leduc de 1903 porte le même titre. La référence à son maître est peut-être simplement circonstancielle, mais elle demeure très significative et symbolique.

Paul-Émile Borduas, Gouttes bleues. Composition faite d'éclats de peinture noire, rouge et bleue sur un fond blanc.

Paul-Émile Borduas, Gouttes bleues, 1955, huile sur toile.
Collection du Collection Musée des beaux-arts de Montréal,
don du Dr et de Mme Max Stern.
Photo Luc Bouvrette.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Gouttes bleues, 1955
Huile sur toile

De la période new-yorkaise, cette toile reprend les grandes caractéristiques de la première étape du voyage de Borduas qui le mènera par la suite à Paris. D’un fond envahi par le blanc, par la lumière, émergent des taches et des formes de couleur vive. Ici, le bleu prédomine sur un arrière-plan lumineux. Cette œuvre résume bien toute l’évolution du travail de Borduas durant son séjour new-yorkais. La matière est bien présente, les taches sont dispersées à la manière du « all over » américain ou du « little drops » de Jackson Pollock et l’usage de la couleur est équilibré et contrôlé. De plus, la composition rappelle certains processus de l'« action painting » qui marque le travail des peintres de l’expressionnisme abstrait américain présents à New York quand Borduas y réside.

Que diront maintenant ceux qui, ayant rendu visite à Borduas à Provincetown, l'été dernier, ont cru que ses toiles étaient devenues toutes blanches, mais d'un blanc inanimé, dépassant dans l'abstraction la limite qu'avait atteinte Mondrian? Ces toiles paraissent sombres auprès des tableaux de New York, qui sont d'une matière pour le moins aussi riche et Borduas n'a jamais été moins abstrait ni plus fidèle à toutes les sollicitations de la vie; aussi, plus lucide et attentif dans la recherche de l'expression intelligible. « Que diront maintenant ceux qui, ayant rendu visite à Borduas à Provincetown, l'été dernier, ont cru que ses toiles étaient devenues toutes blanches, mais d'un blanc inanimé, dépassant dans l'abstraction la limite qu'avait atteinte Mondrian? Ces toiles paraissent sombres auprès des tableaux de New York, qui sont d'une matière pour le moins aussi riche et Borduas n'a jamais été moins abstrait ni plus fidèle à toutes les sollicitations de la vie; aussi, plus lucide et attentif dans la recherche de l'expression intelligible. »

Paul-Émile Borduas, Composition 69. Composition formée de plaques noires et épaisses couvrant la quasi-totalité du canevas.

Paul-Émile Borduas, Composition 69, 1960, huile sur toile. 
Collection du Collection Musée des beaux-arts de Montréal,
don de Renée Borduas.  Photo Luc Bouvrette.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Composition 69, 1960
Huile sur toile

Retrouvée sur le chevalet de l’atelier de Borduas au lendemain de son décès le 22 février 1960, cette œuvre est considérée comme sa dernière réalisation. Ce testament pictural recoupe les caractéristiques du travail de Borduas de cette époque : la palette est réduite presque exclusivement au noir et au blanc, la simplicité et la pureté transpirent des compositions où les formes sombres envahissent tranquillement l’espace lumineux de la toile. Cette invasion de la lumière par l’ombre coïncide avec une période de grande solitude, provoquée par l’artiste lui-même. Il se retranche de la vie publique attendant désespérément la reconnaissance et la gloire. Le poète Jean-Paul Filion qui s’est rendu à l’atelier de Borduas le 26 février 1960 suite aux funérailles de l’artiste, écrit : « La peinture, encore fraîche, que je vois agrippée au chevalet me paraît être la représentation pure et simple d’une véritable carte mortuaire. Je la décris : une seule masse noire et immense couvrant la surface presque totale de la toile, avec, dans le haut, un mince horizon de blanc dans lequel baigne un soupçon de vert limpide et où le peintre a piqué deux petites formes noires rectangulaires, créant ainsi une perspective fascinante vers l’espace. Que viennent faire ces deux fantômes comme des bouts de linceul, et qui persistent à prendre toute la place dans un espace réduit de lumière inaccessible, le tout placé comme en exergue au sommet d’un haut mur de charbon luisant ? Ce qui m’entraîne à voir dans cette œuvre limite l’illustration d’une sorte de désespoir vécu aux confins du cosmos. Ai-je tort ? »

Image d'entête : Paul-Émile Borduas peignant en Gaspésie en 1938 (détail). Collection Gilles Lapointe.

Portrait de François-Marc Gagnon
Visionnez des capsules vidéo portant sur les tableaux Gouttes bleues (1955) et Étoile noire (1957) animées par l'historien de l'art François-Marc Gagnon.