Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Un art pour les sens

Paul-Émile Borduas, Blanc d’automne. Composition ressemblant à des arbres couverts de neige.

Paul-Émile Borduas, Blanc d’automne, 1950,
aquarelle sur papier.  Collection particulière.
Photo MBAM, Christine Guest et Brian Merrett.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
Les artistes du groupe des Automatistes s’intéressent à diverses disciplines artistiques : la danse, la sculpture, la littérature, la photographie, etc. Les sens sont donc presque tous interpellés à un moment ou à un autre. Pourtant, le sens le plus important pour celui qui peint ou celui qui regarde un tableau demeure celui de la vue. C’est par le regard que l’on évalue une toile. Pour Borduas, ce n’est pas l’ouïe, le goût, l’odorat ou le toucher qui prédominent la perception d’un tableau, mais bien la vue. C’est par ce sens que l’on peut apprécier une œuvre d’art.

Dans son texte Manières de goûter une œuvre d’art de 1943, Borduas fusionne le sens du goût et celui de la vue. C’est l’œil qui goûte les œuvres, qui apprécie le travail de l’artiste. Selon Borduas, le goût est devenu à travers les siècles une espèce de voile ou de filtre « tissé de beautés illusoires, des qualités extérieures, de la puissance suggestive des chefs-d’œuvre passés ». Ce voile affecte le regard et le jugement que l’on porte sur les toiles. Il modèle la vision que l’on a de la peinture et de ce que l’on croit être beau et bon. Borduas pense que pour peindre ou bien comprendre la peinture abstraite : « Il faut retrouver l’harmonie perdue, condition primordiale de la contemplation » et du goût. Il souhaite donc libérer le regard et le goût de ce voile, de ses idées préconçues. Le sens du goût est donc lié à la sensibilité du regard et aux émotions ressenties au contact d’une œuvre d’art. Ce sont ces sensations qui interpellent et permettent de goûter la peinture ou, en d’autres mots, d’apprécier l’œuvre abstraite. Borduas s’interroge sur ce qui a modelé le goût en général, et plus particulièrement sur ce qui a formé le sien. Il croit que c’est ce goût, ce voile ou la vision traditionnelle de l’art qui l’empêche de pouvoir exprimer son monde intérieur.

De plus, Borduas s’est peu intéressé à la musique, sauf peut-être dans les années 1942 lorsqu’il se rend compte que ses goûts musicaux, tout comme sa conception de la peinture, changent et évoluent. Il s’intéresse particulièrement à la musique lorsqu’il écrit à sa fille Renée, car elle est pianiste. À cette occasion, il tente de faire des liens entre le travail d’un peintre et celui d’un musicien. La musique est pour Borduas un art réfléchi et mécanique, car il permet au musicien de s’investir dans la composition ou dans l’interprétation d’une mélodie, sans se questionner sur la manière de le faire. Dans la musique, les gammes, les notes et l’instrument sont précis, réglés et intégrés par l’artiste. Le musicien n’est pas obligé de réfléchir sur les aspects techniques de son art, il peut simplement exprimer ce qu’il ressent par la musique. En peinture, cet aspect mécanique est lié à la vision traditionnelle de la peinture : paysage, portrait, etc. Les techniques sont clairement établies et l’artiste peut se consacrer à représenter ce qui l’inspire. Borduas voit son travail de peintre tout autrement. Il cherche justement à renouveler et à développer une nouvelle manière de s’exprimer qui ne fait pas référence à la réalité. La peinture automatiste ne possède donc pas cette base technique préétablie, cette mécanique qui simplifierait l’expression de son inconscient.

Image d'entête : Portrait de Paul-Émile Borduas (détail). Collection Gilles Lapointe (don d'André G. Bourassa).

Extrait d’une lettre que Borduas écrit le 25 janvier 1955 à sa fille Renée : « […] tout en souhaitant que la musique soit moins exigeante envers ma Renée que la peinture le fut envers son papa. L'art semble être devenu la plus terrible passion des hommes: de certains hommes. La musique par ce qu'elle a de mécanique peut sauver d'un feu dévorant! »