La Maison de Paul-Émile Borduas
Anatomie de l'oeuvre
La démarche artistique
Paul-Émile Borduas, Floraison massive, 1951,
huile sur toile. Collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario,
don du Fonds du Mémorial Albert H. Robson. Photo AGO.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
« L’art de peindre n’est-il pas l’art muet par excellence ? ».
Ces quelques mots de Borduas en disent long sur ce qu’il pense de l’art en général. Il considère la peinture comme un art qui ne s’entend pas, mais qui se ressent. Les mots lui semblent inaptes à exprimer la source d’inspiration, le processus d’expression ou l’effet du résultat. Le geste de peindre est pour Borduas un acte primaire, impulsif et inconscient. La spontanéité des dessins d’enfants en est un exemple probant : «Les enfants que je ne quitte plus de vue m'ouvrent toute large la porte du surréalisme, de l'écriture automatique. La plus parfaite condition de l'acte de peindre m'était enfin dévoilée. J'avais fait l'accord avec mon premier sentiment de l'art que j'exprimais alors à peu près comme ceci :
« l 'art source intarissable qui coule sans entrave de l'homme ». La confusion de cette définition d'enfant que je rappelle quand même pour son opposition à toute idée d'entrave associée au travail créateur, exprime sentimentalement le besoin d'une extériorisation abondante ».
L’art de peindre devient l’expression d’un sentiment, d’une sensation, d’une émotion, sans aucun contrôle. C’est l’expression formelle de l’inconscient de l’artiste.
Borduas veut se défaire des normes, des règles et des idées préconçues imposées par la société pour laisser jaillir son instinct. Il ne veut pas représenter la réalité extérieure et identifiable, mais plutôt exprimer les sensations et les perceptions qu’il ressent. Le travail créateur de Borduas est difficile. Ses recherches tentent d’exprimer une réalité sensible qui n’appartient qu’à son monde intérieur et personnel. Il est souvent insatisfait du résultat, lorsqu’il reconnaît des détails de cette réalité extérieure. Ce qui le pousse à plusieurs reprises à détruire ses œuvres pour mieux recommencer. Dans son texte Projections libérantes, Borduas décrit les difficultés qu’il éprouve à créer des œuvres pleinement satisfaisantes. « Le travail à l'atelier est éreintant. Sur dix ans d'un labeur acharné, dix toiles à peine méritent grâce. Je les reconnais comme des accidents heureux impossibles à répéter. Les tableaux sur lesquels ma volonté s'acharne le plus à vouloir diriger sont ceux qui deviennent les plus lointains, les plus froids, les plus intolérables. J'achète le décapant à la pinte. Cependant une assurance quasi irraisonnable me soutient qu'un jour le travail sera plus transparent, moins pénible ».
Borduas pose un regard très sévère sur ses tableaux. Il remet toujours en doute son travail, ce qui lui permet d’avancer et de pousser davantage ses recherches picturales. Malgré les nombreux préjugés, la peinture abstraite exige une longue préparation et une grande rigueur.
Pour Borduas, la difficulté de la peinture abstraite se trouve dans l’expression pure et sincère de ce qui habite son inconscient ou, en d’autres mots, de ce qui n’est pas réfléchi. Exprimer ou peindre sans avoir au préalable déterminé un sujet précis permet de créer librement des formes, des couleurs, des lignes. Borduas veut aller plus loin et libérer le geste et les couleurs pour les faire surgir et les étendre sur la toile. C’est aussi une manière de se libérer lui-même de l’emprise de la tradition et des thèmes habituels tels le paysage et le portrait.
Pourtant, il voit toute production artistique dans une continuité plutôt que dans une réelle rupture. Il écrit dans Parlons un peu peinture :« Ne cherchez pas de clef mystérieuse, elle n'existe pas. La porte qui conduit à la cour intérieure est large ouverte. Ne croyez pas à un art fermé, tous les chemins de la pensée y conduisent depuis les impressionnistes, donc depuis un siècle. S'il vous semble fermé, c'est que vous n'y êtes pas rendus. Si vous n'y êtes pas rendus, c'est probablement que des valeurs sentimentales périmées vous font risette quelque part sur la route. Dans ce cas allez au fond de ces valeurs, tentez d'en épuiser le charme. Alors vous pourrez reprendre le chemin qui conduit au présent. Aucune étape de l'évolution de la pensée ne peut être arbitrairement sautée ».
Image d'entête : Portrait de Paul-Émile Borduas (détail).
Texte de Robert Élie, « Borduas à la recherche du présent » en 1979.
« La succession de tableaux, comme une ascension dans la lumière, rappelle des conversations passionnées qui ne se terminaient qu’à l’aurore, dans la paix et la joie du doux paysage de Saint-Hilaire.
Une toile, la dernière née, servait de prétexte à cette chasse aux mots qui devait permettre de préciser le sens de l’activité poétique. Borduas … dut s’inventer un langage.
Il mit dans cette entreprise la même passion et la même ténacité que dans toutes les autres; aussi, tout ce que lui avait appris le langage des formes et des couleurs qui n’est pas moins profond que celui des mots.
Cette chasse, qui l’avait conduit si loin du monde clos de sa jeunesse, ne lui paraîtra passionnante que par les découvertes qu’elle promet.
Plus il avance dans sa recherche, mais aussi, plus il approche de la fin de l’aventure, plus l’avenir lui paraît lumineux et l’instant présent, comme un commencement absolu.
Au bout d’une longue patience, d’une sévère ascèse, d’une inlassable interrogation dans la plus grande tension du corps et de l’esprit, Borduas débouche dans un espace si vaste et si transparent que semblent possibles, enfin, l’acte de totale liberté, une réponse satisfaisante à la plus exigeante passion d’absolu.
Dans le grand jeu des dernières toiles commence à s’accomplir le désir des hautes aventures spirituelles, dans ce grand jeu du noir et du blanc, du jour et de la nuit, mais où l’ombre est aussi vive que la lumière.
Au moment où les forces lui manquent, Borduas a la certitude que tout ne fait que commencer, que le travail, si pénible autrefois, devient jeu où tout l’être s’exalte dans chaque geste, où vivre c’est créer, et créer vivre, où se réalise enfin cet accord entre la réalité et ses désirs les plus profonds, auquel il n’avait jamais renoncé. »
© Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire, 2014.
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