Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Genèse

Paul-Émile Borduas, Sans titre (Un oiseau). Composition stylisée représentant un oiseau aux ailes déployées sur fond rouge.

Paul-Émile Borduas, Sans titre (Un oiseau), 1942,
gouache sur traits au fusain.
Collection Musée des beaux-arts de Montréal, don de
M. Denis Noiseux et de Mme Magdeleine Desroches‑Noiseux.
Photo MBAM, Christine Guest.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
Dans la période d’après-guerre de la fin des années quarante et sous le gouvernement de Maurice Duplessis, le Québec est une société tournée vers le passé et dominée par le clergé. Borduas et ses camarades veulent qu’un changement profond des mentalités et de la société québécoise s’organise. La production du manifeste Refus global en est le premier pas, car il remet en question, entre autres, l’autorité de l’Église catholique et définit les Québécois comme un peuple soumis. Le texte dénonce les injustices sociales et prône la création d'une nouvelle culture fondée sur la sensibilité plutôt que sur la raison, et sur la liberté (« vive l’anarchie resplendissante ») plutôt que sur l’obéissance : « Au terme imaginable, nous entrevoyons l'homme libéré de ses chaînes inutiles, réaliser dans l'ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l'anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels. D'ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés de mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l'encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération. »

Trop avant-gardiste pour son époque, le manifeste Refus global signé par seize des membres du groupe automatiste arrive trop tôt et trop brutalement. En 1948, la société québécoise et ses dirigeants ne sont pas tout à fait prêts à entendre et comprendre les revendications de ce groupe d’artistes. La crainte de l’autre et de l’inconnu ne disparaîtra qu’avec la Révolution tranquille dans les années 1960, alors que se produit une évolution rapide de la société québécoise entraînant des changements majeurs.

Paul-Émile Borduas, Sans titre (Les trois formes hérissées). Gros plan évoquant les têtes dressées de trois oiseaux.

Paul-Émile Borduas, Sans titre (Les trois formes hérissées), 1942,
gouache sur traits de fusain.
Collection Musée des beaux-arts de Montréal,
don de M. Denis Noiseux et de Mme Magdeleine Desroches‑Noiseux.
Photo MBAM, Christine Guest.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

À son retour d’Europe en 1930, les effets de la grande dépression se font sentir et Borduas peine à trouver des contrats. Il travaille auprès d’Ozias Leduc et réussit à obtenir quelques petits engagements de peinture religieuse, comme celui de produire un chemin de croix pour l’église Saint-Michel-de-Rougemont. Malheureusement, la plupart des tentatives entreprises auprès des paroisses se soldent par des échecs. Les projets sont confiés à d’autres artistes ou sont simplement annulés, par manque de fonds. Borduas est déçu et quelque peu amer de ce manque d’intérêt pour son travail. La nécessité de subvenir à ses besoins, et à celui de sa famille qui s’agrandit, le pousse à retourner à l’enseignement.

De 1933 à 1939, il enseigne le dessin à des enfants dans des écoles à Montréal. En 1937, il est engagé à l’École du meuble comme professeur de dessin et de décoration. De plus, il organise une classe de dessin pour les enfants, en 1941, à sa résidence de Montréal. La liberté d’expression des enfants l’enchante et participe à sa conception, embryonnaire, d’une vision plus libre de la création artistique. Il veut implanter dans sa pratique et son enseignement auprès des jeunes cette approche impulsive et primaire. Il ressent une frustration de plus en plus marquée face au carcan académique imposé dans les lieux d’enseignement. La rencontre d’un groupe de jeunes qui gravitent autour de lui et le prennent comme mentor le force à se questionner sur la pratique artistique et la société québécoise. Les discussions intenses avec cette jeunesse le poussent à développer des idées nouvelles. Ces expériences auprès des enfants et des jeunes, ainsi que l’omniprésence de l’académisme et de la religion le font réfléchir sur la société en général. Il se trouve toujours confronté aux barrières et aux règles imposées et imposantes. Enfin, le premier contact avec la peinture moderne européenne, non figurative, ainsi que la diffusion du manifeste des Surréalistes lui ouvrent les portes d’une pratique artistique différente et libératrice, qui s’apparente à sa propre vision des choses.

La genèse de la pensée de Borduas prend racine dans sa production personnelle autour de 1942 et trouve un aboutissement avec Refus global en 1948. Il fait ses premiers pas dans l’exploration d’une peinture non figurative. Une série de gouaches (1942-1943) témoigne du développement technique et expérimental très caractéristique de cette nouvelle modernité qui habite Borduas. Petit à petit le chemin se trace dans son esprit. Le Refus global se prépare. Les idées germent les unes après les autres. La vision d’un monde meilleur et d’une libération de l’esprit apparaît peu à peu dans son œuvre. On retrouve les prémices de cette pensée dans les textes que Borduas écrit et publie, comme Fusain (1942) ou Manières de goûter une œuvre d’art (1943), ce dernier ayant au préalable été lu en conférence le 10 novembre 1942 devant la Société d’Études et de Conférence. Ces textes laissent entrevoir ce que sera le point focal de Refus global.

Image d'entête : Détail inversé d'une page du manifeste Refus global.

Un passage de Projections libérantes : « Les enfants que je ne quitte plus de vue m'ouvrent toute large la porte du surréalisme, de l'écriture automatique. La plus parfaite condition de l'acte de peindre m'était enfin dévoilée. J'avais fait l'accord avec mon premier sentiment de l'art que j'exprimais alors à peu près comme ceci : « l'art source intarissable qui coule sans entrave de l'homme ». La confusion de cette définition d'enfant que je rappelle quand même pour son opposition à toute idée d'entrave associée au travail créateur, exprime sentimentalement le besoin d'une extériorisation abondante. Dans le noble espoir de faire de moi comme de tout autre un esclave, avec la permission de ma confiance, on avait sabordé ça. Après un long naufrage, ce besoin primordial remontait à la surface. Mon comportement en fut modifié : il permit un nouveau contact plein de foi en la société d'hommes et de femmes à demi libérés. Société dont je n'avais même pas soupçonné l'existence à Montréal. »

Dans le texte [Ce destin, fatalement s’accomplira] qu’écrit Borduas en 1943 : « Aidées par des découvertes d'ordre psychologique retentissantes, les disciplines de l'art entrevirent un immense champ d'expérimentation, de victoires possibles : celui du subconscient ; des voies nouvelles s'ébauchèrent ; des styles très différents en furent la conséquence. Les uns cherchèrent le mystère dans la suggestion provoquée par l'association d'éléments imprévus, étranges, déconcertants dans le tableau, pour intensifier l'impression par un rendu poussant l'illusion, la crédibilité au maximum. L'on rechercha aussi dans la voie indiquée par Léonard de Vinci à ses élèves. 
Salvador Dali domina, expérimenta ces possibilités.
D'autres cherchèrent dans la décalcomanie, dans mille expériences, forçant le hasard.
D'autres dans l'écriture automatique d'abord, dans la peinture automatique ensuite, où nous en sommes rendus. »