La Maison de Paul-Émile Borduas
Paul-Émile Borduas, Chemin de croix (deux stations), 1931-1932.
« La rencontre » (à gauche), « La mise au tombeau » (à droite)
Collection de la Société du patrimoine religieux du diocèse
de
Saint-Hyacinthe. Photo Luc Bouvrette.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)À son retour de France en 1930, Borduas obtient quelques petits contrats de peinture religieuse, mais la crise économique rend les choses difficiles. Pour subvenir à ses besoins et, éventuellement, à ceux de sa famille, il se tourne à nouveau vers l’enseignement. Au contact des enfants et de leur spontanéité sa peinture se transforme petit à petit. Cette évolution se fait remarquer lorsqu’il expose au Salon du livre de 1941 « un paysage peint avec une insouciance de tout convenu et une volupté de couleur rare ici ». Du style statique et classique présent dans son chemin de croix de Rougemont, le travail de Borduas évolue vers une plus grande liberté. La découverte du travail de certains artistes européens lors de son passage en France avait déjà élargi sa vision et enrichi sa démarche artistique. Pensons à Cézanne, Renoir, Matisse, Picasso, ou encore, Maurice Denis.
Au printemps 1942, Paul-Émile Borduas expose une série de quarante-cinq gouaches au Foyer de l'Ermitage à Montréal. Cet événement laisse apparaître les premières manifestations dans l’œuvre de Borduas de l’idée de faire une œuvre sans idées préconçues. À travers cette série, Borduas explore l’expression personnelle et non préconçue d’une transposition picturale de « l’écriture automatique » telle que définie par André Breton, où subsistent des traces figuratives (forme, couleur, mouvement). La gestuelle et l’harmonie des couleurs lui viennent justement de son admiration pour Cézanne et Renoir, deux peintres peu prisés des surréalistes qui n’avaient pas ce genre de préoccupation plastique. C’est à partir de cette époque que de jeunes artistes, pour la plupart élèves de l’École du meuble, se mettent à fréquenter régulièrement son atelier. Le groupe de jeunes, fortement influencé par la vision artistique de Borduas et le considérant comme leur maître, le porte à la tête du mouvement automatiste.
Le geste primaire, l’accident et la pureté du moment présent cernent bien l’axe de recherche picturale privilégié par les artistes automatistes dans cette quête de l'inconscient. À partir de ce moment, leurs œuvres seront marquées par la liberté de l’écriture automatique inspirée des textes surréalistes d’André Breton (1896-1966). Avec le temps et après quelques expositions, le mouvement automatiste s’impose et contribue à faire éclater les frontières de l’art traditionnel québécois. La pluridisciplinarité du groupe nourrit les membres et les amène à explorer l’interaction entre différentes disciplines comme la danse, la photographie, la littérature, la peinture ou la sculpture. Cette démarche correspond étroitement à la pensée que Borduas développe dans le manifeste Refus global.
Les années qui précèdent la parution du manifeste Refus global sont intenses, c’est une période charnière pour tous les membres du groupe. Non seulement la production picturale se modifie, mais la vision et la pensée créatrice de Borduas se modèlent, se transforment et se concrétisent.
Le 22 juillet 1947, il écrit à Fernand Leduc :
« De plus en plus je distingue deux activités : celle du Rêve, du mieux, du meilleur, du Parfait, où la règle serait peut-être l'impossible. Cette activité ne souffrant aucune compromission. L'autre, strictement pratique, de commerce, de communication, d'échange où la règle la plus parfaite semble de faire de son mieux. »
Pour Borduas la production artistique se doit d’être séparée du monde réel, construit et réglementé. C’est l’idée d’une création pure, spontanée et libre. La parution du manifeste et les répercussions personnelles et sociales furent telles que, dès 1948, le groupe tend à se disperser. L’exposition La matière chante à la Galerie Antoine en 1954 laisse entrevoir la fin du mouvement automatiste. Pourtant, ce n’est pas la fin pour Borduas. En 1953, il part pour les États-Unis et s’installe à New York. Il y découvrira une vision artistique semblable à la sienne et le travail des Expressionnistes abstraits américains, comme Jackson Pollock (1912-1956) et l'« action painting ».
En 1955, Borduas quitte New York pour Paris. La couleur disparaît presque totalement de ses tableaux. Le noir et le blanc envahissent tout l’espace. Sa peinture n’a jamais cessé d’évoluer.
Paul-Émile Borduas, Abstraction verte, 1941, huile sur toile. Collection Musée des beaux-arts de Montréal, achat, subvention du gouvernement du Canada en vertu de la Loi sur l'exportation et l'importation des biens culturels et legs Harry W.Thorpe. Photo MBAM, Brian Merrett. © Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)
Abstraction verte est reconnu comme le premier tableau abstrait de Borduas. Il avoue avoir détruit lui-même de multiples tableaux au cours de sa carrière, car il n’était pas satisfait des résultats :
« À la première exposition du Père Corbeil, à Joliette, en 1941 ou 1942, figuraient : «Harpe brune», abstraction préconçue à préoccupation géométrique et expressionniste. La dualité interne de cette toile m'a amené à la détruire un jour malgré son succès national de curiosité. Il n'en reste qu'une photo et quelques critiques favorables. Le deuxième tableau était une horrible tête se dressant verticalement sur un plan horizontal en pleine pâte pouvant suggérer une grève. J'ignore pourquoi j'intitulai cette toile «Le Philosophe». Il n'en reste rien. Enfin, un troisième petit tableau, «Abstraction verte», daté de 1941, se tenait modestement mais fermement sur le mur. Des trois ce fut la seule toile à trouver grâce devant ma rage destructive. Il est le premier tableau entièrement non préconçu et l'un des signes avant-coureurs de la tempête automatiste qui monte déjà à l'horizon. »
© Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire, 2014.
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