Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Cinq temps à la loupe


New York
Gouttes bleues
François-Marc Gagnon
Séquence vidéo
Durée : 3 minutes 03 secondes
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Paris
Étoile noire
François-Marc Gagnon
Séquence vidéo
Durée : 3 minutes 31 secondes
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Image d'entête : Paul-Émile Borduas peignant en Gaspésie en 1938 (détail). Collection Gilles Lapointe.


TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Saisie d'écran de l'entrevue de François-Marc Gagnon

New York, Gouttes bleues
François-Marc Gagnon

En 1953, Borduas décide de quitter le Canada et d’aller s’installer à New York. On a l’impression que sa première motivation c’est qu’il s’est dit que les Américains ont de l’argent et qu’il pourrait avoir du succès. Il ne s’attend pas beaucoup au genre d’art qu’il va trouver là-bas, d’ailleurs comme presque tous les peintres québécois de l’époque. Même des peintres très célèbres comme Jackson Pollock n’étaient pas très célèbres à ce moment-là, non plus, même aux États-Unis. Ce qu’on voyait alors dans les musées ce sont des peintures figuratives. Donc, il a été confronté à une peinture beaucoup plus intéressante qu’il ne le croyait, ce qu’on a appelé les expressionnistes abstraits : de Pollock à Rothko, Newman etc. Borduas se rend compte que ça bouge beaucoup et qu’il n’est pas dans une espèce de « back water », un endroit perdu sans culture, au contraire! L’impact de cette peinture l’impressionne. Borduas a étudié un système de composition très marqué par l’Europe (il a admiré Cézanne quand il était plus jeune) dans lequel on compose en faisant une certaine hiérarchie entre les éléments. Par exemple, dans une nature morte de Cézanne, il y a toujours une bouteille, un bol, des pommes, le tout organisé dans une sorte de triangle. Ce qu’il a vu dans cette peinture américaine n’est pas ça.

C’est ce qu’on appelle le « all-over composition ». Le « all-over » n’a pas de centre, pas de hiérarchie entre les éléments, tout est à peu près pareil, tout se donne avec la même force et ça donne l’impression que ça pourrait continuer à droite à gauche en haut en bas indéfiniment. C’était très déstructurant, les tableaux n’évoquant plus la profondeur, l’espace en trois dimensions. Les tableaux deviennent de plus en plus plats, près du spectateur.

On voit l’impact de ce nouveau système dans l’œuvre de Borduas. Évidemment, il a fait un compromis avec ce qu’il faisait avant. Par exemple, les objets qu’on avait dans les tableaux automatistes disparaissent. Ils se fondent dans le fond. Le fond qui était souvent peint au pinceau et qui était derrière est désormais peint à la spatule, il avance vers l’avant-plan. Il se produit une concaténation à la fois des objets et du fond dans le tableau.


TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Saisie d'écran de l'entrevue de François-Marc Gagnon

Paris, Étoile noire
François-Marc Gagnon

L’aventure de Borduas à New York prend fin. J’ai l’impression qu’il y a un problème de culture, de langue aussi. Borduas n’a jamais beaucoup parlé anglais, je pense, par exemple toute sa correspondance est en français même celle destinée à des personnes qui ne lisaient pas le français, conservateurs de musées, … et ces gens lui répondaient en anglais. Il y a aussi les merveilleux souvenirs de sa jeunesse à Paris. Tout ça le faisait rêver de sortir de New York et d’aller au « centre » qu’est Paris. Mais faire carrière à Paris n’est pas facile pour Borduas. La seule exposition solo qu’il aura se fera un an avant sa mort. Ce qui signifie qu’il a tenté d’exposer pendant trois ans, sans succès. Il a quand même participé à des expositions collectives, des biennales et autres, particulièrement à cause de sa nationalité canadienne car la Galerie nationale s’occupait alors de lui et des autres artistes canadiens.

Mais dans le milieu artistique parisien, il ne se passe pas grand chose. Les dernières photos de Borduas, le montrent émacié, dans son coin, pas très heureux, d’où l’idée qu’il caressait de revenir au Canada, à Saint-Hilaire. On voit que ça n’avait presque pas de bon sens. Par contre pendant ce temps, sa peinture continuait d’évoluer. Il parlait alors de simplification cosmique, (les peintres de ce temps-là aimaient les termes compliqués!) mais ce qu’il voulait dire c’est qu’on a toujours un rapport avec le monde, mais plutôt que de le faire comme avant, avec beaucoup de couleurs et beaucoup de formes, il tentait de réduire l’expression à des formes presque géométriques. Borduas parlait alors de l’influence de Mondrian, ce qui est étonnant, car Mondrian est exactement à l’opposé de l’automatisme. Mais à la fin de sa vie, Borduas cherchait à mieux construire ses tableaux, à mieux les organiser. L’Étoile noire, qui est un chef d’œuvre, vraiment un tableau extraordinaire, est construit comme ça : des taches noires, des taches brunes et une petite tache noire dans le haut, qui est l’étoile noire bien sûr.

Ça m’a toujours fait penser à ce poème de Saint-Denys-Garneau : « Faut-il créer la nuit pour une seule petite étoile problématique? » Ça pourrait être un commentaire poétique de cette œuvre-là.

Ce tableau est fait à la spatule, et c’est très organisé. Si on regarde les petites montagnes faites par la peinture, on voit que c’est très droit, très conscient, au contraire de ce qu’il faisait au tout début, et ça va aller en se simplifiant de plus en plus. La toute dernière œuvre qui était sur son chevalet quand il est mort est presqu’entièrement noire. D’autres sont réduites à une ligne ou à une bande verticale. On voit qu’il va vers de plus en plus de simplicité.

Portrait de François-Marc Gagnon

François-Marc Gagnon
François-Marc GAGNON (1935 à Paris, France - )
Bercé tout au long de son enfance par les arts, la philosophie et la théologie – son père est un grand critique d’art et sa mère une fervente amoureuse de philosophie et de théologie – François-Marc Gagnon poursuit des études en théologie et en histoire de l’art à la Sorbonne. Son doctorat délivré, il opte pour une vie dans les ordres chez les dominicains. Au début des années 1960, François-Marc Gagnon obtient un poste de professeur à l’École des beaux-arts de Montréal. Ayant formé des nuées d’étudiants, le professeur Gagnon prend sa retraite de l’Université de Montréal en 2000, 34 ans après son entrée au département d’histoire de l’art où il enseigne l’art canadien. Reconnu comme l’un des grands spécialistes de Paul-Émile Borduas, il a par la suite dirigé l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, basé à l’Université Concordia, jusqu’en 2011.