Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Transformation de l'artiste

Un miracle de Saint Vincent Ferrier. Scène illustrant un miracle accompli par Saint Vincent Ferrier, entouré d'un foule.

Paul-Émile Borduas, Un miracle de Saint Vincent Ferrier, c.1932,
huile et gouache sur papier gaufré. 
Collection Renée Borduas. Photo MBAM, Brian Merrett.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Après son séjour en France entre 1929 et 1930 où il a connu un monde différent et pris connaissance de la production des avant-gardes européennes (comme Picasso, Renoir, Monet et Matisse), Borduas cherche à explorer d’autres voies. L’impact de cette première période passée à Paris est important et marquera son travail et sa pensée.

Les années 1930 sont celles de la Grande dépression, tout le monde est touché par la récession, même le clergé. Les commandes se font donc plus petites et plus rares. Il peint par exemple en 1932 un chemin de croix pour l’église de Saint-Michel-de-Rougemont. Les temps sont difficiles et Borduas est désenchanté du peu d’enthousiasme qu’il rencontre face à son travail religieux. Conséquemment, il se tourne vers l’enseignement et devient professeur de dessin à mi-temps dans cinq écoles primaires de Montréal de 1933 à 1939. En 1941, il organise une classe de dessin pour les enfants à sa résidence montréalaise. Parallèlement, il obtient en 1937 un poste à la prestigieuse École du meuble de Montréal, où il enseigne le dessin et la décoration. C’est dans ce cadre qu’il fait la rencontre de certains des futurs membres du groupe des Automatistes.

La proximité des enfants, des jeunes et l’enseignement l’amènent aussi à réfléchir aux conditions de création. La liberté des enfants et l’expressivité naturelle qu’il retrouve dans leur dessin lui permettent de voir et de comprendre un aspect de la création qui l’intéresse. Il écrit dans Ce destin, fatalement, s’accomplira : « On vous l'a déjà dit, je le répète, l'homme qui ne peut rien comprendre à la beauté d'un dessin d'enfant, à la beauté de la "Femme au coq" de Picasso, ne saura jamais rien comprendre à la véritable beauté de tous les arts plastiques de tous les temps, de toutes les écoles ».

Cette vision artistique de la spontanéité qu’il constate auprès des enfants se confirme et s’affirme avec la lecture des textes de Breton sur le surréalisme.

La relation qu’il tisse avec ses étudiants de l’École du meuble devient très importante, tant pour lui que pour eux. Borduas aspire à un enseignement fondé sur le respect de l’individu et la valorisation de l’expression personnelle par la peinture. À partir de 1942, il organise à son atelier des rencontres avec des artistes et des intellectuels, dont certains de ses étudiants. Il devient avec le temps un véritable mentor pour quelques-uns. La relation maître et élèves ne cesse de se fortifier et d’évoluer, si bien qu’en 1946 dix de ses élèves adhèrent officiellement au mouvement automatiste créé en 1942. Le noyau automatiste se consolide et le groupe participe à plusieurs événements artistiques au cours des années. Cependant, cet ascendant et les prises de position artistique et sociale de Borduas ne sont pas perçus d’un bon œil par le directeur de l’École du meuble, Jean-Marie Gauvreau. Ce dernier le relève de ses fonctions dès la parution de Refus global en août 1948. Malgré les actions du peintre pour contester son renvoi, le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis fait taire la presse et confirme la décision du directeur de l’École, tirant un trait sur la carrière professorale de Borduas.

Après avoir délaissé la peinture religieuse et s’être consacré à l’enseignement, Borduas tend, particulièrement à partir de 1942, vers une production plus abstraite. Cette nouvelle voie artistique se manifestera de plus en plus précisément par la découverte et l’expérimentation des possibilités de l’inconscient et de l’écriture automatique  pour en arriver à la peinture automatiste. La liberté d’expression est primordiale pour Borduas, il rechigne à se limiter à une commande ou à un cadre précis : « Rien n'est plus triste que de peindre sous la dictée d'un monsieur qui désire toute autre chose que ce pour quoi vous êtes né ».

Borduas s’écarte graduellement des modèles académiques et institutionnels. Il tend vers une production artistique guidée par l’inconscient et l’affirmation spontanée d’une sensation qui s’apparente au rêve. Il veut écarter de sa production tout contrôle conscient de la pensée en laissant son imagination guider sa main sur la toile. La peinture de Borduas ne renvoie donc plus à une représentation du réel, mais à des formes, à des couleurs et à un monde irréel.

Borduas cultive le besoin d’apprendre et de toujours pousser plus loin ses connaissances et son expérimentation. Il tend à appliquer cette liberté d’expression artistique à une liberté de repenser le sens de sa vie. C’est en partie cette fusion entre sa production et sa philosophie qui le pousse à conceptualiser, écrire et publier, en synergie avec les autres membres du groupe des automatistes, le manifeste Refus global.

Image d'entête : Borduas enseignant à l’École du meuble (c. 1942). Collection de Gilles Lapointe.

Paul-Émile Borduas écrit : « […] montrer mes peintures à la critique, savoir ce qui est possible de savoir, connaître ou reconnaître les sympathies, vivre de ma peinture ou en mourir. »

« Mon rêve d'aller un jour prochain, avec ma petite et chère famille, m'installer en France s'est enfui devant les difficultés morales de ces temps de trouble. »

« De plus en plus aussi, je me rends compte que mes activités de ces dernières années m'ont profondément marqué. Durant des années je m'étais cru dégagé de tout esprit nationaliste, aujourd'hui je me retrouve à penser que si je puis atteindre un certain ordre international ce n'est que dans un enracinement progressif dans le milieu où j'ai œuvré depuis quelques années. Donc m'expatrier en ce moment me semble une impossibilité. En tout cas il est impossible que je fasse de moi-même les premiers pas. »