Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Musée virtuel du Canada

Refus global

Le facteur ailé de la falaise ou 5.47. Composition évoquant des personnages stylisés longilignes verts, roses et noirs.

Paul-Émile Borduas, Le facteur ailé de la falaise ou 5.47, 1947,
huile sur toile. Collection Musée d’art contemporain de Montréal. 
Photo : Richard-Max Tremblay
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013)

Quelques années plus tard, c’est le fauvisme, le surréalisme français et plus particulièrement les écrits d’André Breton qui influencent sa pratique picturale, ses expériences comme enseignant auprès des enfants lui ayant déjà fait découvrir la spontanéité et la liberté dans le dessin. Entre 1942 et 1952, la peinture de Borduas se transforme et passe à la non-figuration. Ses recherches plastiques deviennent une véritable innovation formelle où se côtoient des petites touches vives tracées à la spatule dans la matière. Les atmosphères poétiques permettent de laisser libre court à l’inconscient et rappellent l’écriture automatique de Breton.

La formation académique classique déplaît à Borduas. La production de plusieurs artistes de sa génération le rebute, tout comme les conditions de vie des Québécois ainsi que les carcans de l’enseignement, de la politique et des instances religieuses. Ces éléments l’empêchent de laisser libre court à sa conception d’une production artistique et d’une société sans cadre ni obligation. Son insatisfaction est grande, Borduas ne tolère plus le cadre répressif de la société québécoise. La période qui précède la parution du manifeste Refus global est donc jalonnée de ruptures avec des organisations artistiques, des collaborateurs et même certains amis.


Refus global et ses conséquences
Françoise Sullivan
Séquence vidéo
Durée : 4 minutes 44 secondes
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La parution du manifeste en août 1948 constitue l’apogée de ces ruptures qui marqueront les dernières années de sa vie. Les premiers effets néfastes de la publication de Refus global se font sentir dès septembre 1948, lorsqu’il perd son emploi à l’École du meuble. De ce fait, il se retrouve sans ressources financières pour subvenir aux besoins de sa famille. Les années suivantes sont très difficiles sur les plans tant financier que psychologique. Il s’investit toutefois totalement dans son art. Il multiplie les expositions et les occasions de vendre ses œuvres. La reconnaissance de son travail par les pairs est sur la bonne voie, mais la séparation d’avec sa femme en 1951 l’oblige à louer sa maison de Saint-Hilaire et à repenser son avenir. Il décide donc de partir pour les États-Unis dès le printemps 1953. Il fait tout d’abord un court séjour à Provincetown (MA) pour se tourner rapidement vers New York, devenue la nouvelle capitale mondiale artistique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

La parution du manifeste marque aussi le point culminant du groupe des Automatistes, car l’après Refus global ébranle l’ensemble du groupe. Bon nombre d’entre eux vont simplement quitter le Québec pour vivre à l’étranger où ils se sentent moins stigmatisés. Les positions personnelles évolueront, changeront et certaines dissensions apparaîtront. L’éloignement de plusieurs membres du groupe et la perte de son travail auront pour effet d’isoler Borduas. Pourtant, il persistera et s’engagera pleinement dans son art, poussant et repoussant les limites de son approche automatiste.

Image d'entête : Détail du manifeste du Refus global.


TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Saisie d'écran de l'entrevue de Françoise Sullivan.

Refus global et ses conséquences
Françoise Sullivan

Sept ans c’est un chiffre magique, de '41 à '48, il y a eu le Refus global. Ça a culminé avec le Refus global qui était un texte qui naissait des conversations que nous avions. Parce que Borduas était content d’avoir cette interaction avec les jeunes et la pensée se développait à l’intérieur du groupe. C’était un texte qui avait été jugé par tous nécessaire, mais dangereux en même temps. C’était un risque et Borduas, qui était le plus vulnérable, était très conscient du risque qui était le sien et il l’a accepté. Son texte, vraiment magnifique et émouvant, n’a pas été accepté. La société n’était pas capable de l’accepter et même plusieurs de ses amis parmi les intellectuels de Montréal ne l’ont pas accepté non plus, à cause du côté dissident, du côté religieux qu’ils ne pouvaient pas prendre à ce moment-là. Alors, il s’est trouvé très seul, parce que les gens de son âge… Il perdait les amis qu’il avait sauf quelques-uns comme monsieur Lortie, par exemple, qui lui est toujours resté fidèle. On sait qu’il a perdu, qu’il y a eu pendant plusieurs semaines des articles dans les journaux, plusieurs par Claude Gauvreau qui le défendait, mais des articles terribles de la part de ceux qui étaient puissants. Et il a perdu son poste. Ça a été très difficile pour lui, il avait une famille. Et puis il est devenu malade, très malade à ce moment-là. Enfin, il a continué… Ça a été vraiment une catastrophe pour sa vie privée, mais il a quand même continué. Au bout de quelques années il a décidé d’aller à New York où il a fait des oeuvres exceptionnelles et il a fait partie d’une grande galerie new-yorkaise, Martha Jackson, je pense. Et puis, son erreur a peut être été d’aller en France où il pensait que c’était la patrie ultime de la peinture, mais c’était maintenant à New York, qu’il a quitté malgré tout. À Paris, il s’est trouvé très seul, sauf pour quelques amis, Canadiens généralement. Alors, sa vie est un peu comme une tragédie, c’est une vie… on le considère un peu comme un saint. Vraiment un personnage extraordinaire…

Un extrait de Commentaires sur des mots courants : « Automatisme : un des moyens suggérés par André Breton pour l'étude du mouvement de la pensée. On distingue trois modes d'automatisme : mécanique, psychique, surrationnel.

Automatisme mécanique : produit par des moyens strictement physiques, plissage, grattage, frottements, dépôts, fumage, gravitation, rotation, etc. Les objets ainsi obtenus possèdent les qualités plastiques universelles (les mêmes nécessités physiques façonnent la matière).

Ces objets sont peu révélateurs de la personnalité de leur auteur. En revanche ils constituent d'excellents écrans paranoïaques.

Automatisme psychique :

• En littérature : écriture sans critique du mouvement de la pensée. Dans des états sensibles particuliers a permis les hallucinantes prophéties des temps modernes : surréalisme. Contribua largement au bond en avant de l'observation du processus de la création artistique.

• En peinture : a surtout utilisé la mémoire. Mémoire onirique : Dali ; mémoire d'une légère hallucination : Tanguy, Dali ; mémoire des hasards de toute espèce : Duchamp, etc.
À cause de la mémoire utilisée, l'intérêt se porte davantage sur le sujet traité (idée, similitude, image, association imprévue d'objets, relation mentale) que sur le sujet réel (objet plastique, propre aux relations sensibles de la matière employée).

Automatisme surrationnel : écriture plastique non préconçue. Une forme en appelle une autre jusqu'au sentiment de l'unité, ou de l'impossibilité d'aller plus loin sans destruction.

En cours d'exécution aucune attention n'est apportée au contenu. L'assurance qu'il est fatalement lié au contenant justifie cette liberté : Lautréamont.

Complète indépendance morale vis-à-vis l'objet produit. Il est laissé intact, repris en partie ou détruit selon le sentiment qu'il déclenche (quasi-impossibilité de reprise partielle). Tentative d'une prise de conscience plastique au cours de l'écriture (plus exactement peut-être « un état de veille » - Robert Élie). Désir de comprendre le contenu une fois l'objet terminé.

Ses espoirs : une connaissance aiguisée du contenu psychologique de toute forme, de l'univers humain fait de l'univers tout court. »