La Maison de Paul-Émile Borduas
Seconde exposition des Automatistes,
de la maquette de Refus global
Magdeleine Arbour et Paul-Émile Borduas,
photographie Maurice Perron, 1947
collection MNBAQ
Don de la famille Maurice PerronBorduas avait pressenti les événements à venir. Le 4 septembre 1948, il est suspendu sans salaire pour des motifs d’ordre moral et religieux. Il devait s’y attendre, car il écrit en date du 9 septembre à son ami Robert Élie :
« Les troubles de l'incertitude sont passés. J'entre dans les zones plus sereines de l'action ».
On a presque l’impression que c’est un soulagement pour lui, même si les répercussions sur sa carrière comme enseignant et sa vie familiale sont désastreuses. Il se retrouve dans l’incapacité d’obtenir un nouveau poste de professeur. Retiré à Saint-Hilaire, sans revenu fixe et séparé du cercle intellectuel et artistique de Montréal, il écrit : « Je vis dans un drôle d'état depuis un mois ! J'oscille entre la certitude d'avoir fait exactement ce que la conscience la plus exigeante m'obligeait de faire, et en même temps, l'impression d'une parfaite impossibilité de vivre en faisant vivre ma famille, dans des conditions pareilles ».
Plusieurs textes suivront la parution de Refus global. Dans les dernières pages de Projections libérantes, paru au tout début de juillet 1949 chez Mythra-Mythe Éditeur, Borduas décrit les raisons qui l’ont poussé à écrire et produire Refus global : « Le grand devoir, l'unique, est d'ordonner spontanément un monde neuf où les passions les plus généreuses puissent se développer nombreuses, COLLECTIVES. L'humain n'appartient qu'à l'homme. Chaque individu est responsable de la foule de ses frères, d'aujourd'hui, de demain ! De la foule de ses frères, de leurs misères matérielles, psychiques ; de leurs malheurs !
C'est pour répondre à cet unique devoir que Refus global fut écrit. »
Borduas demeure sceptique sur les réelles répercussions de ce manifeste. Dans une lettre qu’il envoie à Maurice Beaulieu, directeur-rédacteur de la revue Situations, il conclut sur une question que le rédacteur lui pose : « Signeriez-vous aujourd’hui le manifeste Refus global ?» Borduas répond ceci :
« Les raisons débordant, j'ai écrit - et signé - dans le temps « Refus global » sans trop savoir pourquoi. Peut-être uniquement parce qu'il était nécessaire à mon équilibre intérieur, dans sa relation avec l'univers, exigeant une correction aux formes inacceptables d'un monde imposé arbitrairement. Aujourd'hui, sans répudier aucune valeur essentielle, toujours valable, de ce texte, je le situerais dans une tout autre atmosphère : plus impersonnelle, moins naïve, et je le crains, plus cruelle encore à respirer. J'avais foi, en cette tendre jeunesse, en l'évolution morale et spirituelle des foules. Un voyage en Sicile, entre autres, aurait suffi à lui seul à me guérir de cette détestable sentimentalité d'esclave. Certes, je brûle d'amour, à ma limite, pour la Terre entière et ses habitants. Mais, je n'ai foi qu'en peu d'hommes. Plus urgente apparaît la reconnaissance dans la foule des âmes ardentes susceptibles de transformer profondément l'aventure humaine que de se lier aux quantités sans espoir. »
Refus global et son impact sur la vie de Borduas
Fernand Leduc
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Refus global et son impact sur la vie de Borduas
Fernand Leduc
Le Refus global est paru en 1948. Or, moi j’étais en France à ce moment-là, avec mon épouse, Thérèse Renaud. Borduas m’avait envoyé une copie manuscrite, typographiée, du texte du Manifeste. Donc, j’ai pu le lire, Thérèse a pu le lire, et nous avons donné notre consentement. C’est paru dans le Manifeste comme le texte m’avait été présenté. Mais le Manifeste [se] présente en divers cahiers. Il y a le Manifeste en particulier, puis des cahiers sur le surréalisme, sur la créativité, la prise de conscience de la société et ainsi de suite. Et on était appelé à fournir chacun un texte qui a nourri l’ensemble du Manifeste, qui comportait une quarantaine de pages, trente, quarante pages à peu près. En tout. Il y avait de la poésie de Claude Gauvreau. Il y avait de la danse, Françoise Sullivan. Il y avait des reproductions d’œuvres d’artistes peintres. Je crois qu’on voulait indiquer par là que ça touchait toutes les manifestations de l’art. Il n’y avait pas de sculpture, parce qu’il n’y avait pas de sculpteur particulier à ce moment-là, c’est tout. Je crois que c’était dans l’ensemble assez fort. Le contenu principal était bousculant, c’était même presque une bombe lancée dans l’esprit de la société actuelle, des années quarante je veux dire, qui était sous la gouverne de la politique et du clergé réunis. Et on nous tenait sous la dictature de cette puissance-là. Il y avait aussi des interdictions de lecture dans la loi du cadenas, par exemple. Pensez que vous si vous aviez de la lecture dite subversive chez vous, on pouvait vous fermer la maison. Le Manifeste a été une bombe dans la pensée religieuse et politique de l’époque. C’était un gros bouleversement, parce qu’il y avait une attaque directe à la religion. Alors, comme le Québec est un pays quand même catholique, très catholique, il était même considéré comme étant le principal lieu du catholicisme pour l’Église. C’est sûr que c’était une bombe énorme. Et le premier à en en subir les conséquences, c’était Paul-Émile Borduas. Parce qu’en principe c’est lui qui signait, c’est lui qui l’a écrit aussi, mais c’est lui qui prenait la responsabilité de Refus global.
Alors, de là, il a perdu immédiatement son travail, ça a été la débandade de tous les côtés. C’est un homme qui a été vraiment martyr, je dirais, massacré dans sa vie. Il fallait beaucoup de courage pour qu’il puisse s’en sortir. Mais nous les jeunes qu’est-ce que vous vouliez qu’on fasse, on avait signé presque inconsidérément un refus comme cela, mais c’est lui qui prenait toute la responsabilité. Et ça lui est tombé dessus. Bien sûr, nous aussi on était sur des listes noires. On n’avait pas le droit à l’enseignement, en tout les cas. Bref, c’était moins grave pour nous, c’était même pas grave du tout, comparativement à ce qui s’est passé pour Borduas.
Une description de l’exposition et du lancement du recueil des Automatistes est proposée par Charles Doyon dans le Clairon de Saint-Hyacinthe le 27 août 1948 sous le titre « Refus global » :
« Les passants sont intrigués devant une montre de la Librairie Tranquille annonçant dans un étalage original la parution d'un manifeste de ce groupe [...]. Avec des moyens de fortune, ficelles de papier-mâché et papillotes, Jean-Paul Mousseau et Claude Gauvreau ont tendu un appât où dans les rêts de l'Automatisme s'élèvent les racines promesses de Refus global, [...] dont une vitrine symbolise un appel à la libération et aux délibérations futures [...]. On a beau ressasser notre passé littéraire et artistique, revivre le temps d'Arthur Buies et de Charles Gill, de l'Institut canadien et du Pays et se reporter aux allusions sur la peur de Jean-Charles Harvey, jamais au grand jamais au pays inamovible et indivis de Québec, on aura vu pareille audace et outrancière intransigeance ».
© Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire, 2014.
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