La Maison de Paul-Émile Borduas

Introduction
Espace d'art, espace de vie
Une montagne qui ne s'oublie pas
Un refus global
Anatomie de l'oeuvre
Rivière du temps
Évocations de l'artiste

Un artiste qui fait couler de l'encre

Jean-Charles Doyon dans Le Clairon écrit le 27 août 1948 : « On a beau ressasser notre passé littéraire et artistique, […], jamais au grand jamais, au pays inamovible et indivis du Québec, on n’aura vu pareille audace et outrancière intransigeance. »

Gérard Pelletier dans le Devoir écrit le 25 septembre 1948 : « M. Borduas vaticine comme un prophète, avec un mépris total pour toute démonstration et toute preuve rationnelle … Voilà qui n’est plus jeune, ni tout à fait surréaliste, et encore moins honnête. »

Le Petit Journal, 15 août 1948 « Nos automatistes annoncent la décadence chrétienne et prophétisent l’avènement du régime de l’instinct / Désir … Amour … Vertige.
[…] Cette affirmation que vous venez de lire, c’est le cri de guerre d’un groupe de jeunes Montréalais qui, dans un manifeste qui vient d’être publié à 400 exemplaires, prononce l’arrêt de mort de la « décadence chrétienne » et proclame l’avènement de l’automatisme surrationnel. »

Montréal-Matin, 5 août 1948. « Bombe automatiste chez Tranquille.
Les milieux artistiques et cultivés seront intrigués d’apprendre que les peintres automatistes viennent de publier un manifeste dans lequel ils exposent leurs avis sur le peinture universelle.
L’automatisme a connu à Paris un réel succès l’an dernier et le public québécois est déjà désireux de visiter une exposition de ce genre d’interprétation artistique. Il semble que le public aura ce plaisir à l’automne, mais auparavant l’automatisme désire lancer un exposé de sa doctrine humaine devant l’humanité.
Ce manifeste, tiré à 400 exemplaires, sera en vente en exclusivité à la Librairie Tranquille, 67 ouest, rue Ste-Catherine, à partir du 9 août.
La Librairie Tranquille consacre en même temps une vitrine spéciale à l’automatisme. En visitant la Librairie, on pourra se faire une idée du « Refus Global » de ce groupe de peintre. »

André Laurendeau, « Bloc-notes », Le Devoir, 27 septembre 1948. « M. Borduas exalte l’instinct, veut supprimer toutes les contraintes morales et religieuses, bref se situe aux antipodes de notre pensée sur tous les terrains. La situation est claire : ses attitudes nous inspirent la plus violente antipathie. Mais il ne s’agit pas de la personne de M. Borduas : un professeur dans l’une de nos grandes écoles vient d’être « suspendu de ses fonctions sans traitement. » […] Si un ministre peut, de sa seule autorité, et en s’estimant seul juge, intervenir dans l’enseignement supérieur, qu’est-ce qui l’empêchera d’intervenir en d’autres occasions et au nom d’autres motifs ? »

Roger Duhamel, « Les zélateurs d’une mauvaise cause », Montréal-Matin, 27 septembre 1948. « Si M. Paul-Émile Borduas, récemment suspendu de ses fonctions de professeur à l’École du Meuble, n’a pas complètement perdu le nord, il doit regretter l’acharnement aveugle de ceux qui ont cru devoir se constituer ses défenseurs pour des motifs qui n’échappent à aucun observateur quelque peu averti. Le Canada et Le Devoir sont entrés dans la danse et réclament contre le gouvernement responsable d’un semblable attentat à la liberté humaine ! Pour un peu, on porterait le débat à l’O.N.U. … »

Refus global et ses conséquences
François-Marc Gagnon
Séquence vidéo
Durée : 3 minutes 14 secondes
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Image d'entête : Gros plan d'une page d'Éternel présent. Photo Luc Bouvrette.

TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Refus global et ses conséquences
François-Marc Gagnon

Borduas n’était pas seulement un peintre, il est important de le réaliser. C’est quelqu’un qui a beaucoup réfléchi sur le type d’art qu’il apportait dans le milieu, comment il fallait changer les choses pour que ça puisse être accepté, il parlait d’un renouvellement de la sensibilité. En tant que professeur, cela l’a fait remettre en question les façons très académiques d’enseigner l’art, etc. et aussi à créer un groupe de jeunes artistes autour de lui, qui vont s’émanciper de toutes sortes de problèmes de l’époque. C’est dans ce climat qu’il a produit le manifeste Refus global en 1948. Refus global a été très mal reçu par la société du temps tout d’abord parce qu’il attaquait de front, ce que personne n’avait trop osé faire, la religion. Il écrivait : « … au diable le goupillon et la tuque… » J’ai parfois du mal à expliquer à mes étudiants ce qu’est un goupillon, car ils n’en ont pas vu, mais c’est parce que Borduas a dit ça : qu’on se libère de ce contrôle que l’église avait sur les gens et qu’on parvienne à s’ouvrir à la vraie vie, à s’ouvrir à la pensée universelle. Le Québec n’avait pas la vérité absolue, il y avait aussi des gens hors du Québec qui avaient des idées. On devait s’ouvrir à ça. Il comparait le Québec à une sorte de ghetto, avec des perles qui suintent à travers les murs de temps en temps (dans Refus global). Ces perles qui suintent, ce sont les poètes, Rimbaud, Lautréamont, ce sont aussi les penseurs qui pouvaient l’intéresser.

La confrontation avec les journalistes est inattendue, très peu de gens sont du côté de Borduas et de Refus global. Il y a des dénonciations et Borduas perd son emploi. On se dit que quelqu’un qui écrit des manifestes comme ça ne peut enseigner aux jeunes! Le débat prend alors un tour politique parce que comme c’est l’Union nationale qui le met à la porte de l’école, les libéraux de l’époque disent qu’ils n’auraient pas fait ça, qu’ils ne seraient pas intervenus dans le système d’éducation, qu’ils auraient discuté avec Borduas. Ils se font un capital politique autour de l’événement.

Pris dans la controverse, Borduas se rend compte qu’on veut l’utiliser. Il décide d’être enfin libre de peindre et il rentre à Saint-Hilaire. « Vous ne voulez plus de moi? Je vais être enfin libre de peindre. »

Désormais privée de sources de revenus, sa famille vivra alors des tensions importantes.

Le manifeste Refus global est lancé à la Librairie Tranquille le 9 août 1948. Le texte principal du manifeste dénonce les injustices sociales et prône la création d'une nouvelle culture fondée sur la sensibilité plutôt que sur la raison, et sur la liberté
(« vive l’anarchie resplendissante ») plutôt que sur l’obéissance. Les signataires remettent en question, entre autres, l’autorité de l’Église catholique et définissent les Québécois comme un peuple soumis. Entre autres répercussions, le 4 septembre 1948, Borduas est suspendu de son poste d’enseignant de l’École du meuble, sans salaire, pour des motifs d’ordre moral et religieux. La tempête médiatique et les répercussions qui ont suivi la publication du manifeste ont fait couler beaucoup d’encre.