La Maison de Paul-Émile Borduas
Paul-Émile Borduas, Composition, (Pommier), 1951, huile sur toile.
Collection particulière.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013) Saint-Hilaire est bien entendu l’un des royaumes de la pomme avec ses nombreux vergers. Borduas a grandi dans cet univers où la campagne, la rivière et la montagne appartiennent au quotidien. Ses souvenirs sont empreints de cet environnement qui lui permet d’illustrer certains éléments de sa pensée artistique. Dans Le surréalisme et nous, il aborde l’idée et l’importance de l’acte non préconçu. Borduas ne veut pas conditionner les désirs, les élans ou l’amour, mais plutôt obéir « sans restrictions, sans préjugés, sans défenses » à la pulsion première.
La métaphore de la pomme, qu’il utilise à quelques reprises dans ses textes, rappelle ses racines et marque sa vision artistique qui favorise la liberté d’expression. Selon lui, la nature ne peut être soumise, il faut plutôt la laisser évoluer, tout comme la pensée qu’il ne veut pas lier à des concepts ou à des idées préconçues. La vision artistique de Borduas prône la spontanéité et laisse place au geste non contrôlé et à l’inattendu. Le résultat de l’œuvre est perçu de la même manière : il n’est pas préconçu, analysé ou conceptualisé, il résulte d’une expression impulsive de l’inconscient.
De New York, Borduas écrit dans une lettre adressée à Ozias Leduc en octobre 1953 :
« Je recommence à zéro, presque inconnu et sans amis. Enfin l'on verra.
Et là-bas, au pays, dans ce lieu exquis de la terre où il est si consolant de vous savoir à l'abri de ces vains déplacements, les nouvelles sont bonnes?
Le travail se poursuit toujours dans cette joie qui est la vôtre? Et les pommes? Et les cheminées? Et les amis? »
Paul-Émile Borduas, Paysage, 1933, huile sur toile.
Collection particulière.
Photo MBAM, Christine Guest et Brian Merrett.
© Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2013) Même s’il désire repartir à zéro, quelque chose en lui est assurément ancré dans les paysages de son enfance de son Saint-Hilaire natal. Cette lettre qu’il écrit en mars 1955, de New York, à son amie Jeanne Brisebois démontre la force de son attachement :
« Ici, l'aventure se poursuit! Les chances de succès augmentent... peut-être. Je travaille beaucoup; je sors très peu! En somme ma vie n'est pas très différente de celle que je vivais dans ma petite cave. Sauf qu'il n'y a pas la montagne, ni «ma» rivière, ni la famille, ni les amis, ni tant d'amis, mais je travaille dix fois plus, cent fois plus ! Et, c'était le seul moyen de m'en sortir un jour. Je n'avais pas le choix! Il a fallu prendre le taureau par les cornes ! Nous verrons ce que ça donnera. »
La nostalgie demeure et marque la vie de Borduas. Il poursuit tout de même son travail et son rêve. La nature imprègne sa production. Même à des kilomètres de Saint-Hilaire, on peut en retrouver des traces et des références incontestables.
En janvier 1959, Borduas est à Paris depuis maintenant quelques années. Pourtant, ses lettres contiennent toujours des références au Québec, à ses amis et, bien entendu, sa montagne. Il décrit cet attachement immuable dans une lettre à Ulric Aimé Paradis, mieux connu sous le nom de frère Jérôme :
« Il est heureux que vous ayez repris contact avec Mousseau, Notebaert, Vermette. Leur collaboration peut sûrement être précieuse même à l'atelier. Je ne vous cacherai pas le plaisir que j'éprouverais d'être sur place et de vous voir à l'œuvre. Le mieux que je puisse espérer est de vous faire une visite. M'ennuyant des amis, du pays, de son climat, de ma montagne, il faudra bien y retourner un jour! J'en profiterai pour monter à Côte-des-Neiges. Et là, nous verrons si tout ça est aussi beau que je l'imagine! »
Paul-Émile Borduas n’aura pas la chance de revoir le Québec. Il meurt dans son atelier, à Paris, le 22 février 1960. Son corps ne sera rapatrié qu’en 1989. Il repose maintenant chez-lui à Saint-Hilaire, dans son village, entre rivière et montagne.
Dans Le surréalisme et nous, Borduas fait encore référence aux pommiers qui lui rappellent ses racines et, par une métaphore sur le temps et son impact, il tente de démontrer que chaque geste influence le résultat.
« [...] on le permet, une phase plus délirante encore, non exclusive, au contraire embrassant tous les êtres et les choses ?
Seul : deux : tous.
En tout cas, toute direction imposée à l'amour ne pourra jamais que le détruire. Toute action choisie n'est bonne qu'à émonder.
Coupons largement les branches mortes du pommier, coupons aussi largement les branches du milieu, que le soleil, la chaleur puissent pénétrer au cœur de l'arbre. Soyons ardents, attentifs, peut-être les fruits seront-ils plus parfaits.
De toute façon, nous aurons fait ce qu'il était possible de faire. Nous avons toujours cru que le possible devait suffire à notre espoir. »
© Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire, 2014.
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